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par Xavier
Garnier et Julien Debenat
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11 Février 2003, province du Hebei.
Arrivée dans le district du Guangzong :
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Quatre heures de route nous séparent de la capitale du Shandong, Jinan.
A notre grande surprise, le voyage s'est
bien passé. Est-ce dû à une amélioration de l'état
des routes ou bien de la conduite des Chinois ? A en juger par la témérité
du motocycliste qui nous a coupé placidement la
route, mettant ainsi sa vie et notre bonne conscience en danger, ce serait
plutôt la première hypothèse, le chauffeur ayant été contraint de tester la
qualité indéniable de ses freins. Nous voilà donc dans la bourgade la plus
importante du district. Grâce aux progrès fulgurants de la communication
moderne, un coup de téléphone portable suffit à nous faire déposer devant
le bureau de la culture et un deuxième nous fait rencontrer Li bu zhang
littéralement le chef de bureau Li. Nous pénétrons ainsi dans un vaste
bâtiment de béton rectangulaire constitué de grands couloirs sombres et de
bureaux semblant inoccupées, excepté celui de Li bu zhang. Nous prenons
place, entourés des portraits des figures notoires de l'histoire
révolutionnaire chinoise. Présentations, échange rituel des cartes de
visite, puis nous sommes conviés à nous restaurer dans un modeste
établissement. Repas simple, légumes et viande de porc, comme ce sera le
cas pour la plupart de nos repas des jours à venir. Nos hôtes nous
accompagnent ensuite à l'unique hôtel,
nouvellement construit, aux couloirs clairs parsemés de crachoirs. Nous en
sommes apparemment les seuls clients. Nous nous renseignons prestement
auprès de l'homme qui nous sert de guide
sur les curiosités locales intéressantes. Il nous accompagne à pied jusqu'à
un grand bâtiment de brique vide, gardé par un ouvreur quotidien de la
porte principale.
Il ne s'agit de rien d'autre
que de l'ancienne demeure du maire
construite il y a 599 ans, nous précise-t-on, comme pour rappeler aux
occidentaux assoiffés de Chine ancienne que nous sommes que ce village aux
apparences modernes a bien une histoire. Cette soif se trouvant faiblement
étanchée nous prenons conscience qu'il ne
s'agit pas de chercher quelque chose d'antique
ou de traditionnel dans le décor extérieur ni même dans le comportement des
gens. Il nous faut plutôt regarder ce qui se passe aujourd'hui
d'authentique et de vivant dans la
campagne chinoise. Peut-être alors les temps anciens se manifesteront à nos
yeux par des chemins détournés. Et peu importe si le décor et les costumes
sont conformes ou non à ce que notre imaginaire attend. Zhuang Zi, penseur
du quatrième siècle avant Jésus-Christ nous avait prévenu :
" Mettez à un singe la robe du duc de Tcheou. Qu'arrivera-t-il
? Il la déchirera de colère, avec ses dents et ses griffes, et ne restera
tranquille, que quand il en aura arraché le dernier lambeau. Or l'antiquité
et le temps actuel, diffèrent autant que le duc de Tcheou et un singe. N'affublez
pas les modernes de la défroque des anciens. "
Zhuang Zi, Traité du maître transcendant de Nan-hoa, chap.XIV, D, trad°
Léon Wieger.
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Le
village de Guangzong, outre une ancienne bâtisse, affiche des apparences
modernes industrielles et urbaines, loin des cartes postales pour
touristes.
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Il est 18h00 , deux hôtes nous attendent au
restaurant de l'hôtel pour dîner,
accompagnés de deux bouteilles de bai jiu (l'alcool
de riz, chauffage central local). Quelques gan bei (culs-secs) plus tard,
il se fait tard en cette contrée paysanne, 20h00, le moment de se souhaiter
bonsoir et se remettre de tout l'alcool de
riz ingurgité en un temps reccord (le bai jiu, somnifère local). En Chine
et surtout dans la campagne il s'agit d'un
rituel incontournable pour créer des liens bénéfiques avec les Chinois qui
vous accueillent : bien boire c'est se
faire bien voir… Nous laissons nos amis prendre congé, puis nous sortons
pour une promenade digestive nocturne. La rue est déserte cette fois, la
population boit le thé en famille, regarde la télé et joue au ma jiang (jeu
de société très populaire). Quelques adolescents bravent le froid avec
leurs vélos, et se rassemblent à la salle de billard pour jeunes. La seule
boutique encore éclairée est une pharmacie de nuit dont les produits vendus
sont censés favoriser la politique gouvernementale de l'enfant
unique laquelle semble d'ailleurs plutôt
inefficace en milieu rural étant donné la proportion importante des enfants
et adolescents constatée dans la population locale. A notre grande surprise
nous remarquons que la personne qui tient cette boutique officiellement
ouverte par les autorités est un jeune garçon qui n'a
même pas 12 ans. Nous continuons notre chemin, stockant dans notre mémoire
une bizarrerie de plus sur la chine moderne. Oui, nous disons bien moderne,
puisqu'ensuite nous découvrons un local
abritant une vingtaine d'ordinateurs,
branchés sur internet à haut débit, rempli de jeunes trop occupés à jouer
aux jeux vidéos à la mode pour naviguer sur les sites d'informations
ou les forums de discussion. Quelques messages électroniques plus tard, il
est presque vingt-deux heures et nous décidons d'aller
nous coucher. Demain, c'est la kermesse du
printemps, il faut prendre des forces.
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12 février, défilés
et spectacles de rues pour fêter le printemps :
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Réveil à 7h00 pour le petit déjeuner puis attente dans la chambre d'hôtel
jusqu'à 10h00, début des festivités.
Pétards et tambours attirent une foule nombreuse, chacun vient comme il
peut, qui en vélo, qui en petite moto, qui en charrette, en triporteur,
petites camionnettes, etc…
Les groupes folkloriques, au son des cymbales et des tambours, parfois d'instruments
à vent très proches de nos bombardes bretonnes, proposent leurs
productions, maquillés et habillés de couleurs vives.
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On
s'amuse à tout âge pendant les festivités printanières
et dans toutes les couleurs…
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Tous
les moyens sont bons pour écarter la foule nombreuse afin de laisser
place à un spectacle sonore et visuel souvent chaotique.
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Pas de problème, quelques moulinets de fléau ou de " fil à plomb
", au ras des spectateurs, les obligent à former un cercle assez grand
pour que puisse avoir lieu la danse des deux lions-dragons : ceux-ci dévorent
les pratiquants de wu shu et se disputent la boule de feu, ou perle d'énergie
(une fois mangée, elle fait faire des bonds incroyables et des acrobaties
endiablées, comme on dirait chez nous). C'est
la traditionnelle danse " er long xi zhu ", ou théatre des deux
dragons et de la perle, très courante en Chine. Puis, toujours au rythme
soutenu de l'orchestre, jeunes et moins
jeunes se succèdent dans le cercle avec lances, sabres, épées, et d'autres
armes moins classiques, pour des duels ou des enchaînements (taos) de
toutes sortes. Notre présence provoque parfois des attroupements aussi
importants que les spectacles. Une seule solution : garder le mouvement.
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Les
pratiquants de Meihua Zhuang sont venus de toute la campagne environnante
pour montrer leur savoir-faire ancestral dans une ambiance très ludique.
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L'après-midi, nous montons dans une
Jeep afin de pouvoir accéder, par des chemins de terre au milieu des
champs, à un endroit un peu particulier.
Devant un monticule de terre, une stèle commémorative indique l'endroit
où, il y a deux mille deux cents ans, le premier empereur rendait son
dernier soupir. Un tertre plus important fut détruit durant la révolution
culturelle, et la stèle actuelle fût dressée il y a sept ans. Un projet de
site touristique payant devrait voir le jour dans les deux ans à venir,
nous assure-t-on.
En attendant, c'est bien ici que le
grand empereur Qin Shi Huangdi, âgé de 59 ans, malade, termina sa tournée d'inspection.
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On dit que non loin de là, quelques jours avant sa mort, il entendit
parler d'une cloche extraordinaire, qui
pouvait être entendue à travers plusieurs pays. Il voulut voir cet
instrument hors du commun mais seules une cloche
ordinaire lui fût montrée. On lui expliqua que la région était si morcelée
en quantité de petits " pays " agencés n'importe
comment, qu'effectivement on pouvait
entendre la cloche dans bon nombre d'entre
eux ! Il nous est précisé, non sans malice, que le grand unificateur de la
chine impériale fût pour le moins irrité par cette farce locale.
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Les
paysans d'aujourd'hui s'approchent plein de respect de
la stèle marquant le lieu du décès de l'un des ancêtres les plus
vénérés de Chine ; cet enfant sait-il qu'il est assis sur un tertre
impérial datant de plus de deux mille ans ?
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Qin
shi huangdi, le premier empereur effectuait une tournée d'inspection dans l'Est quand il fut frappé de
maladie. Il décida d'aller chercher un remède vers
le Shandong, mais décéda finalement à Guangzong, dans le Hebei, au milieu
de la campagne. C'était en 210 av. J-C. Roi des
Qin en 246 av. J-C, puis empereur de Chine, en 221 av. J-C, il mit fin
aux époques troublées des Printemps et Automnes et des Royaumes
combattants. Les qualités de stratège militaire de Shi huangdi lui ont
permis, comme dit le poète Li Bai, de " balayer les 6 autres
états, faisant preuve d'une valeur aussi saisissante qu'un tigre. Brandissant son épée
[…] il a marché sur les principautés à partir de l'Ouest. "
Pour unifier et bâtir l'empire il a fallu résoudre les
divergences et prévenir les risques de contestation. Ainsi après avoir
aboli le système féodal des fiefs et le régime d'investiture des princes
feudataires, il institua une organisation administrative du territoire en
provinces et districts. Toutes les armes de l'empire devaient être saisies et
détruites, les anciens nobles et riches seigneurs exilés aux frontières
ou assignés à résidence à Xianyang, la capitale (près de Xi'an, province du Shaanxi).
Nombre de lettrés furent massacrés, et en 213 av. J-C, un autodafé fit
disparaître dans les flammes tous les livres trouvés, excepté les
ouvrages de médecine, de pharmacologie, d'astronomie et d'agriculture. Il fit unifier les
poids et mesures, le système monétaire, les lois, l'écriture, les dimensions des
essieux de char, les costumes et le calendrier. Un réseau routier de
routes impériales fut établi ainsi qu'un trafic fluvial. Les
murailles séparées furent reliées et prolongées pour former la célèbre
grande muraille. Guerres, grands travaux, impôts et corvées étouffaient
le peuple mécontent. Aussi lorsqu'il mourut à 59 ans, loin de la
capitale, le décès devait rester secret jusqu'à l'accession au pouvoir de son
fils. Son corps fut donc acheminé dans une charrette de poissons dans de
la saumure, afin de couvrir l'odeur du cadavre et d'en ralentir la décomposition.
Effectivement ça sentait le roussi puisqu'un an plus tard une
insurrection paysanne éclata et la dynastie Qin, la plus courte de l'histoire chinoise mais la
première à constituer un empire (il est à noter que le nom occidental
" chine " vient directement de " Qin "), fut
renversée par révolte de paysans armés de bâtons et de houes. Un des
chefs insurgés fondera l'empire Han de l'Ouest (206 av. J-C - 24 ap.
J-C).
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En fin d'après-midi, on reprend la
Jeep, qui traverse plusieurs petits villages et quelques fermes, avant de s'arrêter
au milieu d'un hameau, devant les tombeaux
de deux ancêtres de la boxe de la fleur de prunier, le Mei Hua Quan ou Mei
Hua Zhuang. Derrière les stèles s'étendent
des terres agricoles. Sur la droite des poutres rondes dépassent de
soixante centimètres du sol, disposées en rayons à partir d'un
centre, dans les huit directions. C'est un
cercle de pratique classique, utilisé pour augmenter la précision des
déplacements et des postures. De l'autre
côté, sur la gauche, un bâtiment contient les armes traditionnelles. Le
soleil décline doucement en face du monument, les volutes rouges se
mélangent au bleu du ciel, imprègnent le jaune de la terre. Des enfants sur
un toit nous font signe. Nous remontons dans la Jeep.
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Ne
vous y trompez pas, ces paysans armés ne sont pas en train de regarder
ces Laowai (étrangers) testant leur équilibre sur les fameux troncs d'arbre orientés du Meihua
Zhuang.
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Le
Meihuazhuang (MHZ) est un art martial très ancien se perdant dans la nuit
des temps mais dont nous pouvons néanmoins faire remonter l'histoire généalogique des
maîtres de façon claire jusqu'à la fin du XVIe siècle. Il se
transmettait jusque là secrètement dans les campagnes dans un cadre
familial. De tout temps, les paysans ont pratiqué les arts martiaux pour fortifier
leur corps, se défendre et faire face à des conditions de vie difficiles.
Depuis le XVIe siècle donc le MHZ a été transmis publiquement
principalement dans les provinces du Henan, du Hebei, du Shanxi et du
Shandong. Le MHZ tire son nom de la fleur de prunier (meihua) qui n'est rien d'autre que la fleur nationale de
la Chine vivant principalement dans les régions du nord aux hivers froids
et enneigés et ayant inspiré de nombreux écrivains, poètes et peintres
par les significations symboliques qu'elle possède : fleurissant
entre la fin de l'hiver et le début du printemps
lunaire avant toutes les autres fleurs, elle évoque les notions de
fidélité, de modestie et de courage.
Les 5 pétales de la fleurs symbolisent les 5
éléments du métal, de l'eau, du bois, du feu et de la
terre. Le mot zhuang signifie pieu ou poteau se référant à la façon
traditionnelle de pratiquer cet art martial qui consiste à se déplacer
sur des troncs d'arbres disposés et orientés
selon les 8 directions (ba gua) de l'espace.
La pratique du MHZ est ainsi un art martial interne (nei jia) possèdant
une forme de préparation énergétique alternant le yin c'est-à-dire des postures
statiques basés sur les 5 éléments et le yang à savoir des mouvements et
des déplacements correspondant à des changements d'orientation. Il se pratique
avec un partenaire de façon symétrique ou en cercle avec plusieurs
partenaires.
La partie externe (wai jia) comprend des formes de boxe et de
manipulation d'armes. Celles-ci sont très
diverses et certaines proviennent de l'armature d'une charrette paysanne. Il faut
en effet préciser qu'à l'époque féodale, le MHZ a
toujours été interdit et réprimé par les autorités pour la simple et
bonne raison que les pratiquants de MHZ ont souvent été à l'origine des rébellions et des
révoltes paysannes particulièrement au début du XXe siècle dans le
Shandong pendant le célèbre mouvement du corps de la justice et de la
concorde (Yihetuan) visant à chasser les étrangers et dont le lien direct
avec le MHZ a été prouvé historiquement. Heureusement, l'ironie de l'histoire veut que depuis 1988,
grâce au travail du professeur Yan Zijie, le MHZ soit sorti de l'ombre et ait pris une dimension
internationale étant pratiqué aujourd'hui dans plusieurs pays comme
la France, le Canada et l'Israël.
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Demain après les festivités matinales, nous repartirons vers les grandes
villes. Ce petit morceau de campagne chinoise, en apparence semblable à
tant d'autres, a bien voulu, par l'intermédiaire
des Messieurs Li, Chen et Sun et d'une
poignée d'autres anonymes, nous livrer un
peu de son histoire, avec générosité et bienveillance, à mille milles des
grands centres touristiques et économiques de la Chine moderne. Et c'est
très bien comme ça.
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Sur
la route du départ, nous gardons dans notre mémoire les dernières images
de notre séjour à la campagne, telles ce tracteur lourdement chargé ou ce
vieil homme vendeur de canne à sucre.
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